Lenny Lafargue
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Lenny, pour commencer, peux-tu évoquer ta découverte de la musique ?
J’ai découvert la musique assez jeune, voire très jeune puisque je devais avoir 9 ou 10 ans. C'était dans les années 1968-1970. J’étais en vacances et, à cette époque, « tout le monde » avait une guitare entre les mains et jouait un peu. Ma passion est née là car j’ai ressenti un véritable coup de cœur pour cet instrument. Je trouvais que c’était un objet magnifique, que l’on pouvait transporter partout.


Sur les plages je rencontrais beaucoup d’Anglais, de Français et de Belges qui jouaient. Il interprétaient des répertoires variés et m’ont vraiment transmis le virus de la musique. Auparavant, comme tout enfant, j’avais été initié à la flûte dans la classe de musique de l’école. Cela ne m’avait pas vraiment passionné (rires) !
Par contre voir tous ces gens aussi talentueux qu’inconnus jouer de la sorte m’a vraiment touché…

Connaissais-tu déjà le blues avant d’être initié à la musique ?
La guitare m’intéressait même si, à l’époque, la possibilité ne m’a pas été offerte d’en pratiquer. Ce n’était pas dans « l’ordre des choses » pour mes parents. Ils ne pouvaient me transmettre une quelconque vocation de musicien...
La plupart des gens que je croisais interprétaient des chansons connues. Des standards des Beatles, des Rolling Stones, « La Bamba » etc…

Parfois je voyais les anglais jouer des blues, cela m’intriguait beaucoup… cette sonorité si particulière m’a vraiment interpellé.

Quel est le premier musicien de blues qui t’as marqué et qui t’a donné l’envie d’en faire ta musique ?
Ma sœur organisait des « boums », donc je voyais passer beaucoup de 45 tours à la maison…
Dans ce paquet de disques, qui nous étaient laissés en prêt un moment, j’ai pu découvrir bien des choses…
Je me rappelle d’un vinyle, qui était là par mystère (au milieu d‘enregistrements récents des Kinks, des Stones, des Beatles etc…), de Sonny Terry & Brownie McGhee. J’ai trouvé cela assez fabuleux…

Cette expérience s’est reproduite avec un Ray Charles, une musique qui était incroyable à mes yeux.
Autant j’appréciais tous les hits pop et rock’n’roll de l’époque autant, en tombant sur un disque de John Lee Hooker, j’ai senti que quelque chose se passait en moi.
Dans une autre boum, par miracle, je suis tombé sur un Freddie King qui traînait..

C’était entre 1965 et 1970 et je me suis vraiment demandé qui pouvait être ce mec tant je trouvais cela « dingue ». Vers l’âge de 12 ans, je suis entré dans un magasin et j’ai dépensé le peu d’argent que j’avais en achetant un vinyle de Furry Lewis. Je pense être le seul à avoir acheté son disque, en France, à l’époque. Sur la pochette, il était précisé que l’artiste avait enregistré cet album dans son lit (rires).

Par la suite j’ai poursuivi ma Quête du Graal grâce à un petit disquaire de Bordeaux. Ce magasin était tenu par une nana où, dans l’arrière boutique, étaient entassés des vieux disques Chess de Muddy Waters et Little Walter ou des enregistrements de Lightnin’ Hopkins…
C’était un véritable miracle et je ne peux toujours pas t’expliquer comment ces disques ont pu atterrir là. Je me suis constitué une solide collection grâce à elle !
A l’époque, surtout en province, il était impossible de trouver de tels disques. Comme quoi il n’y a pas de hasard. Quand une chose doit vraiment t’arriver…

Très vite tu mets à contribution tes talents de guitariste débutant au profit du public. Un public qui est, en fait, constitué de passants puisque tu jouais dans la rue. Pourquoi avoir fait ce choix aussi jeune (Lenny avait une douzaine d’années, nda) ?
Quand on est enfant on rêve, heureusement…
Un jour je me suis dit que j’allais devenir un grand bluesman (rires) et commencer à me produire.
Je sortais donc ma guitare et jouais dans les bus par exemple. J’avais dans les 12-13 ans et, dans ma tête d’enfant, j’étais réellement devenu quelqu'un.

Je n’avais toujours pas pris de cours et j’essayais d’imiter ce que j’entendais. Cela devait ressembler à du blues mais sans structure et sans technique. Ainsi, je jouais un peu partout…

Quelle était la réaction des gens, les retours étaient-ils positifs ?
Je devais faire marrer les gens. Un gamin qui joue dans la rue, c’était inhabituel pour eux et osé de ma part. Par la suite j’ai rencontré une fille sur une plage. Cette dernière était chanteuse professionnelle en Allemagne et m’a appris des plans comme « The House Of The Rising Sun ». Puis ma route a croisé celle d’un américain qui, vu son niveau, était probablement un pro.

C’était à Arcachon où il m’a appris les mesures car je n’avais aucun sens des mesures (rires).
Tout s’est mis en place de la sorte. J’ai eu la chance de faire beaucoup de bonnes rencontres sans prendre la moindre leçon de musique.
Une fois ce minimum de technique acquis j’ai continué à m’exercer par le biais d’une méthode qu’une copine m’avait ramenée de Paris ou d’un disque de BB King, acheté aux USA, qui contenait une minute de cours. Ma technique est née de bric et de broc…

Un peu plus tard, j’ai rencontré sur Bordeaux des gens qui faisaient de la musique cajun. Je ne sais pas ce que ces précurseurs sont devenus…
Eux aussi m’ont aidé et je les ai accompagnés. Une fois un solide répertoire constitué, j’ai commencé à faire la manche. C’était assez drôle, une époque dorée où, même en jouant dans la rue, tu pouvais gagner des sous.

A quand remontent, exactement, tes débuts professionnels ?
J’ai traîné deux ans en Angleterre où j’ai pas mal joué et rencontré des gens. Cependant je ne gagnais pas beaucoup d’argent et j’ai décidé de revenir en France. J’ai, dans un premier temps, joué dans quelques bars et dans la rue. Puis je me suis heurté à la triste réalité, il fallait vivre et manger…

Je n’ai, dès lors,  commencé à jouer que pour mon plaisir et suis devenu soudeur - charpentier - métallo.
C’était un travail très dur et m’a vie n’était pas très facile, je devais avoir 18 ans.
Suite à un très grave accident du travail, avec des collègues qui sont morts, je me suis fait licencier abusivement. C’est alors qu’une amie éducatrice m’a fait prendre conscience de mes capacités à la guitare et m’a poussé à en faire mon métier. Elle m’a offert la possibilité d’apprendre la musique à des jeunes en difficulté et à les faire jouer ensemble.
Puis j’ai commencé à faire de la scène, sous mon propre nom, dans les MJC et j’ai fondé un premier groupe de blues et rythm and blues.

J’ai eu la chance de tomber sur un guitariste, ancien membre de groupes de variétés, qui connaissait les rouages du business. Il a senti mon potentiel et s’est, aussi, chargé de toute la partie administrative et logistique du travail. C’était dans les années 1975 et nous avons immédiatement trouvé de nombreuses dates, ça marchait très bien !

Je crois que tu a aussi accompagné Memphis Slim…
J’ai fait une date puis une tournée complète avec lui. Je me suis retrouvé là sans trop comprendre pourquoi et comment…
J’avais eu ma période T Bone Walker (à l’époque j’explorais à fond le répertoire d’un artiste pendant toute une année, un an T Bone Walker, un an Lightnin’ Hopkins etc…) et, de ce fait, je n’ai pas été dérouté. Heureusement que j’avais fait ce travail de fond sinon je n’aurais jamais pu assurer avec un tel mec. Le fait d’avoir joué avec lui, appris ses morceaux et partagé la route en sa compagnie a été une expérience très formatrice. Je pense que beaucoup de français ont joué avec lui (Memphis Slim a vécu en France de 1962 jusqu’à son décès en 1988, nda) mais, quoiqu’il en soit, cela a été quelque chose de marquant pour moi !

Je n’aurais jamais imaginé pouvoir partager des scènes avec des grands bluesmen. Je venais d’une famille d’ouvriers très « terre à terre » et il a fallu qu’une fille m’offre un enregistrement pour que je prenne connaissance de mon potentiel. Je n’avais ni disque, ni affiche et ne pouvais imaginer que ce monde pouvait être à ma portée. C’est le destin qui m’a mis sur cette voie…

Quand je jouais avec Memphis Slim, mon père avait filmé un concert avec l’une des premières caméras japonaises qui étaient sur le marché. En regardant la vidéo je me suis dit « c’est pas mal, je joue bien quand même ! ». Je ne me rendais pas compte de mes talents car, en tant qu’autodidacte, personne ne m’avait jamais fait part de mes qualités ou de mes défauts. En voyant mes solos je n’en revenais pas, c’était incroyable (rires) !

Ton premier répertoire, en solo, était-il déjà constitué de compositions originales en français ?
Mon groupe Mojo Blues, en 1975, marchait très bien et nous interprétions un répertoire que nous étions les seuls à faire en Aquitaine. C’était des reprises de Freddie King, Hound Dog Taylor etc…
Les spectateurs hallucinaient, personne n’avait jamais écouté cela et c’était comme si nous avions inventé ces chansons. Quand on interprétait Hideaway, nous devions le refaire 2 ou 3 fois dans la soirée car tout le monde dansait dessus. Nous avions la pêche, ce n’était pas du bal…

Je me souviens de notre 403 avec tous les amplis sur le toit. Nous n’étions pas là pour plaisanter, c’était « allez roule ! » et nous faisions des gigs partout où on voulait de nous.
J’avais toujours des bouts de textes sur moi. Déjà à l’école j’aimais beaucoup la poésie et j‘en faisais beaucoup..
Après les Mojo Blues, j’ai continué a me produire en anglais et j’ai enregistré cette fameuse démo dont je te parlais précédemment. Ce disque se vendait comme des petits pains à l’issue de mes concerts. Il y avait 3 compositions originales dans la langue de Shakespeare mais, n’étant pas un as en anglais, je te laisse imaginer les mots que je pouvais employer.

La première fois que j’ai écouté ce disque, je trouvais cela très bien mais j’ai pensais que ça sonnerait mieux en français. D’autant plus que les gens pourraient, ainsi, me comprendre….
Nouveau coup du destin j’ai été signé par Rhésus Blues qui était, alors, le plus grand management de l'hexagone en termes de blues. J’étais l’un des seuls français de leur catalogue, c’était une chance incroyable et je n’en revenais pas…
S’ils étaient « pro-américains », j’ai réussi à les convaincre (non sans mal) de m’enregistrer en français. N’étant pas assez « calé » en anglais c’était ça ou me contenter de faire ma carrière sur un répertoire exclusivement constitué de reprises. J’avais la fibre de la rime et il fallait que je compose. Pour moi c’était une raison d’exister et d’avoir le sentiment de faire quelque chose. Je devais me raconter, montrer qui je suis…
Au départ j’ai tâtonné sans obtenir de grands résultats mais, petit à petit, j’ai trouvé un style qui m'a fait me sentir à l’aise.

Est-ce que tu revendiques une certaine filiation avec tes « aînés » comme Bill Deraime, Patrick Verbeke, Benoit Blue Boy etc… ?
C’est évident !
Ce sont des gens qui sont mes aînés…
J’ai fait des textes en français sur du blues bien avant de les connaître et lorsque je les ai écouté, ça m’a confirmé dans mon choix. Ils faisaient ça tellement bien que je me suis dit que ce que j’avais envisagé de faire était possible. Les découvrir a été comme trouver une famille musicale même si, aujourd’hui encore, j’aime toujours me faire plaisir en glissant un petit standard américain au sein de mes concerts.
Je suis, définitivement, un chanteur de blues en français et c’est dans ce registre que je me sens le mieux.

A l’inverse, as-tu le sentiment d’avoir influencé quelques musiciens plus jeunes ?
Peut être, je ne sais pas…
Je suis peu au courant de ma notoriété et ne m’y intéresse guère. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas content lorsqu’on me félicite mais je n’ai jamais réfléchi dans ces termes. Le fait d’être l’influence de quelqu'un est flatteur car ça veut dire que quelque part on est une aide pour cette personne. Comme mon propre style a pu être aidé par mes influences à une époque. Vraiment, je ne peux pas répondre précisément à ta question. Tu es, peut être, plus au courant que moi…

Tu viens d’évoquer ton style, justement comment le définirais-tu ?
C’est assez complexe car c’est un mélange de pas mal de choses. Il y a du swamp à la Slim Harpo, du rockin’ blues, du rock’n’roll à la Jimmy Reed et à la Chuck Berry, des ballades, des titres à la Tony Joe White.

En fait l’ensemble constitue un son à la Lenny Lafargue. Le producteur auquel j’ai fait écouter les maquettes de mon futur CD m’a dit « ça c’est du Lenny! ». Cela veut dire qu’il y a un style qui m’est propre, même s’il m’est difficile de le définir. Il y a tant d’éléments qui constituent ma musique …
Pour résumer on pourrait dire que c’est très lancinant, ça sonne très « blues du sud ». C’est vraiment très sudiste même si j‘y ajoute parfois une pointe de Chicago Blues…

Toi qui est dans le circuit depuis de nombreuses années et qui a vécu les grandes heures d’un Club mythique, Le Cricketers, à Bordeaux. Comment jauges-tu la popularité du blues en France actuellement ?
Les gens se limitent souvent à un seul style de blues. Pour moi le blues c’est toute la musique afro-américaine. Les registres sont variés et vont du gospel au blues du désert oriental marocain, en passant par la soul music etc…
Il y a tant d’expressions dans le blues qu’on ne peut pas dire « le blues c’est que Muddy Waters » !

Cette musique est arrivée à un tournant à cause d’un manque évident de médiatisation. Elle va se transformer via des jeunes vont amener des nouvelles manières de jouer et qui vont fusionner différents styles. Il faudrait qu’un mec arrive comme cela a été le cas de Stevie Ray Vaughan, quelqu'un qui ait un talent énorme et qui soit médiatisé pour qu’il y ait un regain d’intérêt de la part du public.

A titre personnel, je fais partie des gens qui n’essayeront plus de construire des trucs nouveaux. J’ai pris du temps pour me forger mon propre style et je me vois mal chercher à faire comme les jeunes. Je suis, cependant, très content de constater qu’une nouvelle génération apporte, avec talent, un nouveau souffle au blues. Je pense que cette musique va muter, sinon je ne sais pas quel avenir elle pourrait avoir…
S’il y a de moins en moins d’icônes, on trouve de plus en plus de pratiquants, ça c’est un point très positif !

Tu a de nombreux albums à ton actif mais je crois que tu en prépares un nouveau. Peux-tu m’en dire plus à son sujet ?
Ce sera un disque très « épuré », enregistré en trio. Je suis assez content de mes morceaux dont certains seront enregistrés avec le support d’un harmonica. Ce sera simple et sobre, un album facile à écouter avec des bons blues lancinants et du rock. J’ai réalisé un gros travail sur les mélodies pour cet album, c’est quelque chose d’important à mes yeux !

As-tu une conclusion à ajouter ?
Je suis content d’être ici au Caf’ Conc’ et de t’avoir rencontré. Tu as l’air très sympathique et ce n’est pas de la complaisance de ma part, ce n’est pas mon genre …
Merci de faire ce travail pour le blues !

www.myspace.com/lennylafargue

 

 

 

 

 
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myspace.com/lennylafargue

Interview réalisée
Caf’ Conc’ d’Ensisheim
le 11 juin 2010

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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